sécurité centrales nucléaires

Le drame de Fukushima questionne la sécurité des centrales nucléaires en
France. Et, face au risque d'accident aux conséquences irrémédiables, repose
le débat éthique sur la légitimité de l'industrie nucléaire.
La catastrophe nucléaire de Fukushima a relancé le débat sur la pertinence
du choix de l'énergie nucléaire. Hier encore, elle était présentée comme le
moyen de faire face à la hausse annoncée du prix des énergies fossiles tout
en satisfaisant aux exigences de baisse des émissions de gaz à effet de
serre imposées par la menace de changement climatique. Désormais, chacun
s'interroge : est-il souhaitable de sortir du nucléaire ? Et est-ce
possible ?Profil basPassons sur le procès en indécence fait à tous ceux qui
réclament l'ouverture d'un débat sur le sujet. Surtout quand le discours est
tenu par ceux qui n'hésitaient pas voici quelques jours à dire que la
catastrophe de Fukushima était finalement plutôt positive pour l'industrie
nucléaire française, un peu cher certes, mais la-plus-sûre-du-monde. Ceux
là-mêmes qui, hier encore, étaient prêts à vendre des centrales à notre
ex-ami KadhafiŠ On mesure ici pleinement l'irresponsabilité partagée de nos
dirigeants politiques et des élites de l'industrie nucléaire française. Les
proportions prises par la catastrophe de Fukushima ont cependant contraint
même les plus ardents défenseurs du nucléaire à faire profil bas. Nos
ingénieurs qui avaient pourtant absolument tout prévu affirment désormais
qu'ils vont tirer les leçons du drame que connaît le Japon pour améliorer
encore la sûreté de notre parc nucléaire (et notamment prévenir les menaces
qui pourraient peser sur les dispositifs assurant la permanence du
refroidissement des réacteurs). Cherchez l'erreur : on nous serine depuis
des années que tout est prévu, pourquoi alors faudrait-il changer quoi que
ce soit à nos méthodes, à nos procédures ? Le simple fait d'annoncer qu'on
va « tirer les leçons » de Fukushima n'est pas faite pour rassurer quand on
y réfléchit bien : certaines éventualités n'auraient donc pas été
prévues ?Le risque de l'accident irrémédiableMais laissons aux spécialistes
le débat sur la sûreté du parc nucléaire français. Et admettons que la
technologie mise en ¦uvre en France est plus sûre que ne l'est celle
utilisée à Fukushima. Cela ne retire rien aux questions fondamentales posées
par l'industrie nucléaire et notamment la nature spécifique du risque qui
lui est lié. De même qu'on ne peut chiffrer la perte économique que
représente le recul de la biodiversité, dès lors que nous sommes incapables
de recréer une espèce végétale disparue, de même le risque nucléaire a un
caractère absolu qui rend caduque les calculs probabilistes. On peut
toujours dire que le nombre de morts engendrés par le nucléaire civil est
très faible en comparaison des décès liés à l'exploitation du charbon. Et ce
ne sont pas les travailleurs chinois du secteur qui diront l'inverse :
plusieurs milliers de mineurs trouvent la mort chaque année dans les mines
chinoises. Mais l'argument ne tient pas : car ce qui est en cause dans le
nucléaire n'est pas son bilan passé, mais la possibilité, même très faible,
qu'un accident au caractère irrémédiable se produise, sachant qu'il faut 171
000 ans pour que le plutonium produit par les centrales perde 99 % de sa
radioactivité. D'ores et déjà, au-delà des dégâts irrémédiables entrainés
pour le périmètre immédiat proche de la centrale de Fukushima, les rejets
dans l'atmosphère de ces derniers jours vont polluer durablement l'océan
pacifique et avec lui l'ensemble de la chaine alimentaire halieutique.Les
dangers du colbertisme atomiqueLes défenseurs du nucléaire nous expliquent
aujourd'hui que tout cela est sans doute vrai, mais que l'énergie nucléaire
présente des qualités telles que le risque vaut la peine d'être couru. Deux
arguments sont régulièrement invoqués : le premier serait que le nucléaire
assurerait la sécurité d'approvisionnement en énergie du pays et de son
économie. A la différence du pétrole et du gaz, qu'il faut importer en
permanence de pays à la stabilité incertaine, l'électricité nucléaire est en
effet produite à domicile. A l'heure où la ville de Tokyo est menacée d'un
black out durable, on ne peut que rappeler que le choix du tout-nucléaire,
tout-électrique, français est plutôt un facteur d'insécurité. Penser que
80 % de notre énergie électrique provient de centrales nucléaires de
technologie quasi-identique n'est pas du tout rassurant. Imaginons qu'un
accident sérieux apparaisse sur telle ou telle centrale qui justifierait la
fermeture, à titre préventif, d'une large partie du parc : où serait alors
la sécurité d'approvisionnement ? Sur un mode mineur, on a déjà pu
constater, ces dernières années, que les opérations de maintenance rendues
nécessaire par l'usure précoce de certains composants des réacteurs
français, a rendu une bonne partie du parc indisponible, obligeant EDF à
faire tourner ses vieilles centrales au fuel et à importer du courant en
période de pointe. Le bon sens inciterait plutôt à ne pas « mettre tous ses
¦ufs dans le même panier » et donc à diversifier fortement les technologies
utilisées au lieu de suivre cette logique colbertiste à la française qui
consiste à imposer une seule source d'énergie, produite par une seule
technologie, décrétée la meilleure possible par nos polytechniciens. Des
polytechniciens dont les certitudes d'hier peuvent se révéler les mensonges
d'aujourd'hui : un grand merci au passage à Carlos Ghosn qui vient de nous
le rappeler avec éclat, grâce à la clochemerlesque histoire d'espionnage de
Renault !Second argument : le nucléaire assurerait notre indépendance
énergétique. C'est oublier un peu rapidement que le nucléaire consomme aussi
un matériau rare et importé : l'uranium. Or, en l'état des réserves
mondiales prouvées, le stock d'uranium, au train où vont les choses, devrait
être épuisé à la fin du siècle. Autant dire que le recours au nucléaire
porte des coûts et des risques d'une durée quasi-infinie alors qu'il
n'apporte qu'une solution de relativement court terme.Dernier argument
apporté par les défenseurs du nucléaire : il ne serait désormais plus
possible de s'en priver sans revenir à la bougie - ce que nul ne veut - tant
nous sommes désormais dépendants de cette énergie. Nos erreurs passées
viendraient ainsi justifier de persister dans les mêmes erreurs !Un choix de
mode de vieIl va de soi qu'en raison même du poids du nucléaire dans la
production électrique française, on ne peut abandonner cette énergie du jour
au lendemain. En tout état de cause, il nous faudra bien assumer
l'héritage : il va falloir gérer le stock de déchets en évitant toute
solution irréversible et assumer les coûts de démantèlement des
installations. Mais est-ce une raison pour ne rien faire ou au contraire une
raison supplémentaire pour agir dès aujourd'hui ? La vérité est qu'il est
parfaitement possible de sortir du nucléaire et qu'il ne s'agit pas d'un
choix technique, mais bien d'un choix politique, d'un choix de société, d'un
choix éthique même, au c¦ur de la nécessaire réflexion sur notre
responsabilité d'être humains à l'égard de nos semblables et des générations
futures. Un choix de mode de vie qui questionne les finalités mêmes du
système économique. Ce n'est qu'à titre secondaire un choix économique
stricto sensu, dans la mesure où l'arrêt du nucléaire, même progressif,
supposerait de profondes modifications de notre système de production,
d'autant qu'il nous faut dans le même temps continuer de réduire le recours
aux combustibles fossiles, changement climatique oblige.Et sur ce plan, les
scénarios de sortie du nucléaire sont bien documentés. Ils reposent tous sur
un effort majeur en matière d'économie d'énergies, qui devrait y contribuer
pour un bon tiers, et par un recours massif aux différentes énergies
renouvelables, sachant qu'un recours temporaire au méthane serait sans doute
nécessaire, ce combustible fossile étant le moins polluant en termes d'effet
de serre. Un tel choix imposerait de lourds investissements (dans le
bâtiment notamment) et des changements de nos modes de vie afin de réduire
au maximum les mobilités subies pour ne pas avoir à sacrifier les mobilités
choisies. Il faudrait également augmenter sensiblement le prix de l'énergie
électrique. En partie parce que le coût de production de l'électricité issue
de technologies renouvelables demeure aujourd'hui plus élevé que celui de
l'électricité nucléaire (sachant que le débat reste ouvert sur les « vrais
coûts » du nucléaire, qui sont en partie socialisés et qui risquent de
l'être toujours plus à l'avenir, quand l'heure viendra de démanteler les
centrales existantes). L'augmentation du prix de l'énergie a aussi pour
objectif de modifier les comportements des consommateurs et des offreurs
d'équipement, comme on l'attendait de la taxe carbone. Reste à rendre cette
augmentation acceptable en veillant à ce que la hausse des prix ne punisse
pas les plus pauvres. Il suffirait pour cela de pratiquer des tarifs
progressifs et non dégressifs et d'aider massivement les ménages les moins
aisés à réduire leur consommation domestique. En revanche, le recours aux
renouvelables, dont la production est plus intense en main d'¦uvre,
profiterait massivement à l'emploi sur le territoire national, comme le
montre l'exemple allemand où le développement de l'éolien et du
photovoltaïque a déjà engendré plus de 350 000 créations d'emplois.Il est
accablant de constater qu'il faut qu'une catastrophe aussi dramatique que
celle que subit aujourd'hui le Japon pour que le débat sur le nucléaire soit
réouvert. Il est vrai que le choix nucléaire est au c¦ur du logiciel de
l'Etat français. Au point qu'un quasi-consensus règne sur le sujet parmi les
grands partis de gouvernement. C'est que le nucléaire civil s'inscrit dans
un héritage moins économique que stratégique : il s'inscrit dans la saga
gaulliste comme un élément majeur de l'indépendance nationale, dans la
filiation de l'effort technologique qui a permis à la France de devenir une
puissance atomique, un effort qui nous a permis historiquement de maîtriser
le cycle du combustible. Même la DCNS, la direction des constructions
navales en voie de privatisation, propose aujourd'hui de mettre sur le
marché des mini-réacteurs construits sur le modèle des réacteurs nucléaires
qui propulsent nos sous-marins, des mini-réacteurs qui seraient posés sur
les fonds marins. En voilà une idée qu'elle est bonne ! Dommage qu'on ne
puisse plus proposer à Kadhafi de nous en acheter un ou deux. Sans doute
aurait-il été intéressé. Nos réacteurs ne sont-ils pas les meilleurs au
monde, quoique un peu cher ?
Philippe Frémeaux
Article Web - 18 mars 2011



19/03/2011

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